Reprendre la main sur le travail

Ça se passe dans un petit bled dont je ne vous donnerai pas le nom pour préserver la personne concernée. C’est une histoire qui aurait pu commencer par : Il était une fois un colis et la lutte des classes.
Le colis en question a été envoyé depuis un pays frontalier de la France. Le destinataire était dans l’urgence, l’expéditeur bienveillant avait réalisé toutes les conditions pour le colis arrive au plus vite. Le suivi Internet a fait merveille jusqu’au passage de frontière. Puis il s’est interrompu. Les destinataires s’en sont ouverts au postier. Celui-ci a remué ciel et terre pour repérer le colis en question et durant quinze jours il s’est enquis quotidiennement de la réception éventuelle. Le 16e jour l’objet est arrivé. Les destinataires ont saisi l’occasion de la vente du calendrier pour papoter un brin avec le facteur si diligent. La collection de cachets figurant sur la boîte indiquait sa prise en charge par une entreprise privée à l’arrivée en France, facteur et destinataire tombant d’accord pour condamner l’effacement du service public dans la transmission du courrier. Le destinataire donnait un tour politique à son propos en évoquant la destruction du travail et de la capacité d’engagement des agents du service public…. ,
« Mais on résiste ! » S’exclame le facteur : « On planque les colis dans des endroits improbables pour que la boîte privée ne les trouve pas et que nous puissions les distribuer correctement aux personnes de la tournée. »
Et d’aucuns de trouver que le mouvement social est atone !
Certes le mouvement social ne parle pas tout à fait la langue habituelle des organisations politiques ou syndicales. Il faut aux unes et aux autres régler le sonotone pour entendre, prendre langue, soutenir, faire connaître, contribuer à cette rébellion de classe. Aux unes et aux autres, il revient de donner une dimension plus collective et donc politique à des initiatives aujourd’hui minorées. Ainsi de l’écoute, du recueil, de la publication, de l’accouchement de sens des paroles et des actes des travailleurs. Mais qui s’ancre ici dans la réalité ? Militants syndicaux ou politiques, peu nombreux, œuvrant dans ce sens ou bien ces organisations qui « marchent devant », que le peuple voudra bien suivre ? En la matière, l’heure n’est pas à la guerre des préséances. C’est social ou c’est politique de considérer que 40 ans d’échec de bataille pour l’emploi ça suffit et que la modernité c’est de faire échapper le travail à la prédation capitaliste.
On sait aujourd’hui que La Poste sanctionne les facteurs qui rendent service aux usagers sans facturer ce service. C’est une agression brutale au sentiment du travail bien fait, au sens même de l’humanité. C’est politique ou c’est syndical de faire entendre la souffrance engendrée, c’est syndical ou c’est politique de faire connaître comment les facteurs, quand ils disent cette souffrance, trouvent la force de la circonscrire et inventent alors des chemins de lutte pour la dépasser.
Dans le petit bled en question les postiers ont commencé à reprendre la main sur leur travail.
Que font-ils d’autre que de ne pas laisser aux actionnaires de l’entreprise privée comme à l’employeur « service public formaté loi travail », le soin de décider ce qu’il est utile de produire et de quels services ont besoin les citoyens ?