Trump, l’insulte aux Afro-descendants

Les propos du Président des États-Unis, rapportés par le Washington Post : « Pourquoi est-ce que ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? » font référence à Haïti, au Salvador et aux pays africains. Ils ont provoqué un grand nombre de condamnations, de réactions hostiles à travers le monde.
Observons les réactions françaises, pas une ne se risque à soutenir la vulgarité de Trump, nombre d’entre elles en dénoncent la violence raciste mais aucune d’entre elles n’a saisit l’occasion d’affirmer sa solidarité aux Afro-descendants de notre pays. Rien, ni du côté de la présidence ni du côté de l’adoubé “premier opposant”. Et que dire des élus locaux qui, pas plus que leurs mentors nationaux, n’ont relevé le gant ! L’ONU a proclamé cette décennie “Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine”. Il y avait là de quoi se réclamer des peuples de la terre pour rejeter rudement l’agression trumpienne aux Afro-descendants de France. Dans leur immense majorité les habitants de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de leurs îles avoisinantes sont les descendants de ces femmes et de ces hommes, arrachés à l’Afrique, violés, assassinés, déportés, réduits en esclavage, déposant sur ces terres 300 ans de travail gratuit aux sources de la “France grande puissance”.
Ce déni de reconnaissance de l’afro-descendance des Caribéens que manifeste le silence à l’insulte qui leur est faite, cette absence de solidarité à l’égard des habitants de Haïti qui arrachèrent à la France la première république noire du monde éclaire singulièrement la relation que la France entretient avec ce morceau du monde. Ainsi de la Guadeloupe où le syndicat indépendantiste UGTG compte 7 000 adhérents sur 400 000 habitants, le dossier destiné à l’ONU de “pays à décoloniser” se structure, la population conteste la colonialité de son lien à la France en s’abstenant majoritairement aux élections, en chantant “La Guadeloupe est à nous, elle n’est pas à eux” lors des rassemblements syndicaux ou politiques de contestation. Mais c’est au nom de la “République une et indivisible”, que la métropole entend garder la Caraïbe en son giron et reste sourde à ce mouvement. Dans le même temps, depuis la même métropole, pas un élu de la république n’affirme sa solidarité aux citoyens afro-descendants insultés depuis la Maison Blanche. Ils y croient donc si peu à la République sous les cocotiers qu’ils n’ont pas mal quand elle est violentée ?
« Contre le relativisme culturel …et politique ! »
L’article, publié dans Causes communes 56, et intitulé « Trump, l’insulte aux afro-descendants » pose une série de questions. La première partie est consacrée aux propos de Trump (et sur les « pays de merde que sont Haïti, le Salvador…) et sur l’absence de réactions de la classe politique française (métropolitaine ?). Cette absence de réactions, personnellement, ne m’étonne guère !
La seconde partie est plus problématique dans les approximations concernant les réactions de la population guadeloupéenne avec l’UGTG contre la colonisation.
Petit détour :
« Le relativisme culturel est l’un des principaux traits du nouvel individualisme qui dédaigne la culture et l’histoire propre à son pays au profit d’une ouverture…le plus souvent superficielle des autres cultures et civilisations. Le second trait caractéristique de l’individualisme lié au précédent consiste précisément en un bricolage identitaire, une sorte de patchwork… » (1).
Précisément dans l’analyse, il faut se garder de l’abaissement des valeurs de l’universalisme pour le soi-disant respect des « cultures locales », car à ce stade, le débat et la confrontation intellectuelle risquent d’être profondément altérés par la dispense de l’examen aride de la réalité et de toute analyse un peu fouillée.
Les faits :
• Le 1er décembre 1999, les 3 présidents des DFA (départements français d’Amérique) par la Déclaration de Basse-Terre réclamaient une évolution statutaire vers plus d’autonomie (sous tutelle européenne !). Cette évolution statutaire, en Guadeloupe, saluée par tous les partis et organisations (dont l’UGTG), a été refusée par 73% des votants le 7 décembre 2003.
• En avril 2009, Sarkozy après les états généraux de l’outre-mer propose un choix entre autonomie et évolution simplifiée des institutions.
• En janvier 2010, les populations de Martinique et de Guyane rejettent l’autonomie. En Guadeloupe, prudent, le président de région (Victorin Lurel) obtient un sursis de 18 mois pour un nouveau vote qui n’aura jamais lieu.
Donc, il est faux d’affirmer « que la métropole entend garder la caraïbe dans son giron ». La population qui n’est pas restée sourde aux questions posées (comme le suggère le texte) s’est manifestée contre « Plus d’autonomie » (à l’exception des zones de non-droit républicain que sont Saint-Martin et Saint Barthélémy) car cela signifiait plus d’exploitation de classe sans changer d’un iota de l’oppression capitaliste. Et l’affirmation « victimaire » de L’UGTG dénonçant le néo-colonialisme de l’état français est totalement démentie par les faits.
(1) JP Le Goff » Malaise dans la démocratie » Pluriel Février 2017 p. 32 à 34.
Les suites de l’économie de plantations :
Dans les « vieux » DOM, le système économique actuel qui concentre majoritairement les richesses aux mains d’une caste de « békés » est issue de l’économie de plantation (1). Ce système perdure… Ainsi, tous les produits importés (presque 100% des produits consommés) sont frappés de taxe dite d’octroi de mer. Ces taxes, ressources des collectivités locales, (parfois à hauteur de 60% pour les communes), garantissent surtout les profits des groupes « békés » implantés dans la distribution dans tous les DOM alliés à d’autres « communautés » commerçantes, chinoise en Guyane, libanaise en Martinique et Guadeloupe, indienne à la réunion. Elles (les taxes) ne sont pas le signe ou le fruit d’une autonomie fiscale et douanière, prélude à l’indépendance comme le prétendent les nationalistes (UGTG et autres) mais bien le produit d’une histoire qui dispensait les planteurs de tout impôt (foncier, d’habitation …).
Ce système d’auto-exploitation de la population est pervers et verrouille toute évolution et développement économique et social local. Il conforte les situations de classes, la stratification sociale et le pouvoir de la caste « corrompue » des notables élus. En fait, la proclamation d’anticolonialisme de l’UGTG (2) vise à masquer les inégalités de classe mais aussi toute la stratification sociale fondée sur la couleur de la peau. En ce sens, elle est semblable à celles de tous les populismes (comme le mouvement 5 étoiles en Italie) et comme telle non exempte de xénophobie.
Je me souviens, lorsque je vivais en Guadeloupe dans les années 2000, et à l’aube des premiers essais de « pogrom » contre les logements des haïtiens émigrés d’entendre les ténors du mouvement nationalistes (UGTG, CTU…) parler d’espace vital pour le pèp a -Gwadloup-la = Espace vital pour le peuple guadeloupéen (bien sûr, toute analogie avec les déclarations d’un adjudant autrichien moustachu dans l’entre-deux guerres n’est pas fortuite !).
(1) En décembre 2015, la CGTG (pas l’UGTG) a été condamnée (après avoir vu ses comptes bloqués) à payer 55 000 € pour avoir dans un tract, lors d’un conflit social, défini la famille Despointes, propriétaire du Carrefour Millénis dans l’agglo de Pointe à Pitre comme l’illustration de la continuité de cette famille de la traite négrière à l’esclavage salarial. La solidarité financière est venue de la CGT, du journal l’humanité et non de l’UGTG.
(2) En tant qu’organisations indépendantes la CGTG a été créée en 1961 et l’UGTG en 1973. Pour des exemples de discours xénophobes et racistes (et simplistes !) voir le site de l’UGTG.
Et la conclusion de cela ?
Causes Communes ne doit rien lâcher sur ses valeurs et sa rigueur nécessaire dans l’analyse intellectuelle d’une situation.
Mais je suis sans illusions car comme le disait Cornélius Castoriadis à la fin des années 70 : « Il faut en prendre son parti et s’y préparer : nous aurons à vivre un certain nombre d’années dans cette « mélasse théorique » en boxant des édredons (1).
Et je terminerai par un bon mot du grand poète et écrivain martiniquais Aimé Césaire dont mes camarades guadeloupéens appréciaient peu l’action au sein du PPM (Parti Progressiste Martiniquais) mais, bien sûr, son œuvre de Shakespeare antillais :
« Les Antilles, c’est une situation complexe et complexée ! ».
Je salue le poète, l’écrivain, le visionnaire politique et …le psychanalyste amateur.
Didier Cornil
Le 17.02.2018
(1) Cornélius Castoriadis : Les crises d’Althusser : de la langue de bois à la langue de caoutchouc. Libre n°4, petite bibliothèque Payot 1978.