«Cette épidémie électrise la gauche»

Le philosophe Pierre Charbonnier réfléchit à la matérialité des idées politiques, et à la possibilité de conserver l’idéal de la liberté à l’époque des bouleversements écologiques. Pour Mediapart, il examine la façon dont l’épidémie actuelle percute nos pensées et modes de vie.
Auteur, en début d’année, d’un livre ambitieux, Abondance et liberté, où il montrait comment nos imaginaires et nos institutions ont été structurés par un pacte aujourd’hui impossible entre croissance et autonomie, le philosophe Pierre Charbonnier développe une « histoire environnementale des idées », distincte d’une histoire des idées environnementales.
De cet ouvrage cherchant à cerner les « structures géo-écologiques de la pensée » et à montrer à quel point nos formes démocratiques, mais aussi nos idées politiques, sont dépendantes des sources d’énergies et des modes d’occupation de l’espace, les virus et les épidémies étaient toutefois absents.
Nous lui avons donc demandé comment il les intégrerait dans une réflexion marquée par un moment où « la crise donne prise à l’imagination politique » mais où il faut se méfier de prêter des « capacités de révélation » au virus.
Quel regard portez-vous sur le moment que nous venons de vivre et que le déconfinement n’a pas clos ? Est-ce une bascule ou l’accentuation d’une tendance à l’œuvre ?
Pierre Charbonnier : Depuis quelques semaines, on est confrontés à un conflit d’interprétation entre ceux qui pensent que plus rien ne sera comme avant et d’autres qui affirment que le retour à la normale sera brutal, voire que l’ordre économique et politique en ressortira consolidé.
On avait beaucoup dit après 2008 que le capitalisme financiarisé savait parfaitement s’adapter à ses propres crises, voire en tirer profit, et c’est certainement juste. Mais cette adaptation n’a rien de naturel et de spontané, pas plus d’ailleurs que le changement de paradigme ne l’est.