Philippe Descola : « Nous sommes devenus des virus pour la planète »

Cette pandémie doit, selon l’anthropologue, conduire à une véritable « politique de la Terre ».
Anthropologue, spécialiste des Jivaro achuar, en Amazonie équatorienne (Les Lances du crépuscule, Plon, 1994), Philippe Descola est professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature.
Disciple de Claude Lévi-Strauss, médaille d’or du CNRS (en 2012) pour l’ensemble de ses travaux, Philippe Descola développe une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains qui a révolutionné à la fois le paysage des sciences humaines et la réflexion sur les enjeux écologiques de notre temps, dont témoignent notamment Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005) et La Composition des mondes (entretiens avec Pierre Charbonnier, Flammarion, 2014).
En quoi cette pandémie mondiale est-elle un « fait social total », comme disait Marcel Mauss, l’un des fondateurs de l’anthropologie ?
Un fait social total, c’est une institution ou des événements qui mettent en branle une société, qui font apparaître ses ressorts et ses valeurs, qui révèlent sa nature profonde. En ce sens, la pandémie est un réactif qui condense, non pas les singularités d’une société particulière, puisqu’elle est mondiale, mais certains traits du système qui régit le monde actuel, le capitalisme postindustriel.
Quels sont-ils ? D’abord, la dégradation et le rétrécissement sans précédent des milieux peu anthropisés du fait de leur exploitation par l’élevage extensif, l’agriculture industrielle, la colonisation interne et l’extraction de minerais et d’énergies fossiles. Cette situation a eu pour effet que des espèces sauvages réservoirs de pathogènes se sont trouvées en contact beaucoup plus intense avec des humains vivant dans des habitats beaucoup plus denses.